EXPO ANCEL 2024

Supérieur général du Prado

  • De grands projetscliquez-ici. 
  • Au service d’une vocation multiforme, cliquez-ici. 
  • Cet appel pouvait être entendu de tous dans l’Église de Dieu, cliquez-ici. 
Alfred Ancel - Supérieur général du Prado

De grands projets

Extrait (pages 110-112) de l’ouvrage de Mgr Olivier de Berranger, Alfred Ancel, un homme pour l’Évangile, 1898-1984, Centurion,1988.


Après la mort de Francis Laffay, le 15 février 1942, il fallut lui trouver un successeur. Dès le 25 février, les 54 électeurs convoqués par Paul Chervier se rassemblaient, et Alfred Ancel était élu. Il devait remplir successivement cinq mandats de six années à la tête du Prado, dont il demeura le supérieur jusqu’en 1971. C’est assez dire que son histoire va désormais se confondre, pendant près de trente ans, avec celle du Prado. Il n’est pas question ici de retracer cette histoire. Nous chercherons seulement, à partir des projets qu’il a mis sur pied et des orientations qu’il a données, à saisir comment Alfred Ancel a vécu ce ministère au service de l’Église comme un combat spirituel. Et nous nous bornerons essentiellement, pour ce faire, à la période qui précède sa vie à Gerland, soit jusqu’au début des années 50.

A son frère Henri, qui lui demandait un jour s’il n’éprouvait jamais quelque regret de n’avoir pas eu à gérer l’entreprise paternelle, Alfred répondit : « Oh non ! Tu vois, pour moi, une usine c’est trop petit… » En accordant à cette boutade l’humour qui émaillait parfois les réparties du Père Ancel, il faut certainement y voir aussi un aveu tout à fait sincère. Un chef d’entreprise, s’il veut prospérer, fait des plans et doit élaborer sans cesse de nouveaux projets. Ceux d’Alfred Ancel devenu supérieur du Prado étaient-ils, au moins par analogie, significatifs d’une grande ambition humaine ? Les résultats chiffrés, eux, étaient remarquables. Pour n’en donner que deux, les séminaristes en lien avec le Prado étaient une trentaine en 1945 mais 195 en 1948 ; et alors qu’il n’y avait que 67 prêtres inscrits dans la Société au moment où le Père Ancel succédait au Père Laffay, ils étaient déjà 442 en 1954. Bien des lettres envoyées aux évêques, lorsque le Prado commencera à sortir du diocèse de Lyon, sonneront comme des bulletins de victoire. Il est vrai que parallèlement, surtout après la guerre, les Petits Frères et les Petites Sœurs de Jésus ou les Frères Missionnaires des Campagnes, parmi d’autres institutions analogues, se développent aussi de manière importante. Mais, pour le clergé séculier, même en tenant compte de la création de la Mission de France par l’Assemblée des cardinaux et archevêques en 1941, il n’y a pas de poussée comparable à celle du Prado.

Quoique imposants, ces résultats, qui correspondent à des besoins de l’heure dans une France où le problème de l’adaptation de l’Église dans la société d’après-guerre exige des innovations hardies, sont-ils à la mesure des ambitions ? Dès l’été 1944, le Père Ancel annonce à ses confrères que le Noviciat des pères va s’installer à Saint-Fons, en bordure de la nationale 7, dans les locaux d’un ancien café. Puis voici qu’il leur livre une confidence : « Vous dirai-je le fond de ma pensée ? L’avenir montrera si elle est conforme à la volonté de Dieu. Il me semble que, pour installer vraiment le Prado dans les différents diocèses, il faudrait que, dans chacun, existent à la fois une œuvre de première communion (ou œuvre similaire) et une école cléricale. L’œuvre de la première communion nous maintiendra au service des pauvres, des humbles, des déshérités, des pécheurs ; l’école cléricale nous répétera sans cesse et d’une manière vivante l’idéal sacerdotal du Père Chevrier. Alors les communautés pradosiennes seront vraiment solides: elles seront fondées sur la même base que le Père Chevrier avait établie à Lyon (…). C’est là une anticipation, c’est plutôt une intention de prière. »

Pour comprendre de tels projets, il est nécessaire de les replacer dans la perspective où se situait son auteur. Le Prado, fondé par Antoine Chevrier comme une « Providence » destinée à l’éducation d’adolescents privés d’un minimum d’instruction religieuse et comme une pépinière d’apôtres pauvres, était appelé à connaître une évolution considérable. On peut parler de la véritable « mue » d’une institution, d’abord incarnée dans des « œuvres » lyonnaises, alors qu’elle allait de plus en plus se réaliser à l’intérieur d’une transformation sociale et d’un dynamisme missionnaire qui touchaient l’ensemble de l’Église de France.

Au service d’une vocation multiforme

Extrait (pages 122-124) de l’ouvrage de Mgr Olivier de Berranger, Alfred Ancel, un homme pour l’Évangile, 1898-1984, Centurion,1988.


Quelle fut donc, pour Alfred Ancel, l’originalité de la « vocation pradosienne » dans les grandes décades missionnaires de l’après-guerre ?
Lorsqu’on scrute non plus ses projets, mais les orientations qu’il a données, une chose frappe par sa constance : cet homme s’est battu toute sa vie contre le « méthodisme ». Il emploie lui-même ce terme, désignant par là un état d’esprit qui, bien entendu, n’a rien à voir avec la confession chrétienne qui porte ce nom. Il s’agit pour lui d’une « déviation missionnaire», et il en donne quelques applications très précises :
« Un des signes qui prouvent qu’on est atteint de méthodisme, c’est le temps que l’on consacre à penser ses méthodes. Si un prêtre n’a plus le temps de prier, de bien dire son bréviaire, de s’occuper de ses paroissiens parce qu’il lui faut penser ses méthodes, il n’y a pas de doute, le diagnostic est fait. Il est frappé de méthodisme. Un autre signe de méthodisme, c’est l’autoritarisme dans l’emploi d’une méthode et l’exclusivisme vis-à-vis des autres méthodes. Quand un prêtre est tellement pris par la liturgie de la messe face au peuple, qu’il ne peut plus la dire autrement, il est sûrement atteint. Quand un prêtre est tellement pris par ses réunions de quartier, ses militants d’Action catholique spécialisée qu’il ne peut plus rien voir, ni accepter du dehors, ça y est : il est atteint (…). Les méthodes sont des servantes, il faut s’en servir et ne jamais s’y asservir (…). Aucune méthode n’est nécessaire, aucune n’est universelle. »
Est-ce à dire qu’Alfred Ancel se moque des méthodes dans le travail apostolique et conseille un relativisme dédaigneux ? Il n’en est pas question. C’est le sectarisme qu’il combat: « Ne nous laissons jamais prendre par des théories qui contiennent sans doute des éléments excellents, mais qui deviennent fausses dès qu’elles manifestent des prétentions totalitaires, exclusives ou sectaires. Faisons bien l’œuvre de Dieu, et Dieu fera son œuvre. »
Ce billet a été écrit en 1951. Mais, dès 1926, Alfred Ancel ne disait-il pas à la chapelle du Prado, dans son homélie sur saint Jean-Baptiste : « Vous voyez quelle importance relative il faut donner aux diverses œuvres d’apostolat… » Il y a sur ce point chez lui une continuité sans faille. L’expérience, les circonstances pourront bien modifier son champ d’application et affiner son vocabulaire. Les convictions spirituelles demeurent. Par exemple, à l’époque où les colonies de vacances font florès et constituent le terrain de prédilection des séminaristes pour leurs activités apostoliques, le Père Ancel leur écrit : « Il n’est pas admissible qu’un séminariste consacre plusieurs heures à la préparation d’un rallye ou d’une petite guerre et qu’il improvise une explication de la Messe ! » Lorsque tous les prêtres et les religieuses courent les Congrès pastoraux, il précise sa pensée : « Nous connaissons, par notre formation pradosienne, l’essentiel de l’apostolat sacerdotal, mais il ne faudrait pas pour autant mépriser les diverses méthodes et techniques adaptées aux besoins actuels (…). Ceux qui voudraient, sous prétexte de fidélité à l’esprit évangélique, mépriser les techniques et méthodes modernes, montreraient qu’ils ne possèdent pas vraiment cet esprit et ils risqueraient, par un contrecoup nécessaire, de faire mépriser l’esprit évangélique. »
« Indéfiniment », comme il le dit, il revient sur la parabole d’Antoine Chevrier à propos de « l’arbre artificiel et l’arbre naturel », en commentant : « Sans doute, il faut préparer les réunions, mais il faut davantage préparer le prêtre que préparer les réunions… » Et un jour, mais c’était en 1947, il invente lui-même une autre parabole :
« En caricaturant un peu, on pourrait ainsi composer la prière des néo-pharisiens : Mon Dieu, je vous rends grâce de ne pas être comme les autres chrétiens, formalistes et sclérosés, ni même comme le pape et les évêques qui se préoccupent encore des écoles chrétiennes et autres choses périmées… Pour moi, je vis comme un pauvre et je m’incarne dans la masse, je suis un témoignage vivant et je ne m’inquiète pas des règles, l’esprit me suffit. » Et de citer une vieille histoire : « On dit qu’un Russe (ce devait être un parfait révolutionnaire) constatant que son pantalon était sale et déchiré, d’un geste vengeur, le jeta au feu… et après, il s’aperçut qu’il n’en avait pas d’autre. L’histoire n’est sûrement pas vraie, mais ce qu’elle signifie a été fait plus d’une fois. » 

Cet appel pouvait être entendu de tous dans l’Église de Dieu

Extrait (pages 124) de l’ouvrage de Mgr Olivier de Berranger, Alfred Ancel, un homme pour l’Évangile, 1898-1984, Centurion,1988.
 

Comme on le voit, ces orientations évangéliques sont essentiellement adressées à des prêtres. Alfred Ancel était cependant tout à fait persuadé que l’appel à une vie de « disciple », dont Antoine Chevrier avait été un témoin dépouillé mais lumineux, avait des destinataires bien au-delà des seuls clercs. Comme il l’affirmera encore dans son dernier livre, cet appel pouvait être entendu de tous dans l’Église de Dieu : évêques et prêtres, religieux et religieuses, laïcs chrétiens… Mais c’est surtout à ces derniers qu’il pense alors : « Je le redis encore aujourd’hui : le témoignage évangélique des prêtres et des religieux ne suffit plus. Le monde a besoin de trouver aussi chez des laïcs le témoignage du Christ vivant dans son Église. En effet, la situation religieuse de notre pays, et pas seulement dans le monde ouvrier, s’est encore dégradée depuis un siècle (…). Sans doute, il y a encore chez nous des survivances de chrétienté : nous les connaissons à travers les sondages sur la foi et sur la pratique religieuse. Mais il ne faudrait pas que ces faits indéniables nous cachent une autre réalité. celle de la disparition progressive de la foi et même de l’humus chrétien dans des couches de plus en plus importantes de la population française, spécialement parmi les jeunes (…). Notre époque exige en quelque sorte que des laïcs s’engagent, tout en restant laïcs, dans les voies de la perfection évangélique. Notre monde a besoin de voir un assez grand nombre de chrétiens laïcs partager avec tous la vie du mariage, le travail professionnel et les engagements terrestres, en vivant vraiment selon l’esprit des Béatitudes et en manifestant Jésus-Christ à travers toute leur vie. »

Alfred Ancel - Supérieur général