Les interventions de Mgr Ancel au Concile
Extrait (pages 217-220) de l’ouvrage de Mgr Olivier de Berranger, Alfred Ancel, un homme pour l’Évangile, 1898-1984, Centurion,1988.
(Mgr Alfred Ancel est) hanté par le désir apostolique de dialoguer avec les non chrétiens…
Son intervention écrite du 26 novembre 1963 est tout à fait significative à cet égard :
«Dans notre texte (sur l’œcuménisme) ce qui est dit des non-chrétiens, les Juifs mis à part, est des plus brefs. Six lignes de facture très générale leur sont consacrées, alors qu’ils sont deux milliards dans le monde. De plus les relations humaines entre catholiques et non-chrétiens prennent de jour en jour plus d’importance, même dans les régions qui autrefois étaient essentiellement chrétiennes… »
Le Père Ancel poursuivait en disant qu’il n’était pas question de tomber dans l’indifférentisme, car on offense la vérité en regardant toutes les opinions comme également valables. Puis, il avait un long paragraphe sur le respect dû aux religions non chrétiennes. En cela, il innovait par rapport aux schémas pré-conciliaires : dix-sept avaient été retenus, mais aucun ne traitait de cette vaste question. Puis le Père Ancel, citant un rapport de Mgr de Smedt, évêque de Bruges, qui avait fait forte impression, demandait qu’on traite sérieusement du dialogue nécessaire avec les non-croyants : « J’ai trouvé plusieurs athées qui ne rejetaient pas vraiment Dieu ni la vraie religion, mais uniquement des faux concepts au sujet de Dieu ou des contre-témoignages de la part de certains chrétiens que nous aussi nous devons rejeter. J’en ai même connu qui, par leur manière de vivre, m’ont aidé à devenir meilleur chrétien. En eux certes, c’était là un don de Dieu (…). Un communiste athée m’a dit : “Si vous voulez que nous croyions au spirituel, il faut nous en donner la preuve par votre vie.” Et un autre : “Ce que je vous reproche, à vous chrétiens, ce n’est pas d’être chrétiens, mais de ne pas l’être assez” (…) Le titre de ce schéma pourrait être conservé tel quel, pourvu qu’une distinction soit établie entre œcuménisme proprement dit et œcuménisme au sens large… »
Cette « distinction», quoique son auteur voulût en penser, était une confusion en ce sens qu’elle voilait la signification première et originelle du terme et risquait d’entretenir l’équivoque. C’est là un point qui peut être signalé comme une certaine limite chez quelqu’un qui, à la différence de nombreux autres Pères conciliaires moins sûrs d’eux en théologie, ne faisait pratiquement pas appel à tel ou tel « expert » pour rédiger ses interventions personnelles. Néanmoins, son témoignage sur le dialogue avec les incroyants et l’accent mis dans son texte sur le respect des croyants d’autres religions, étaient un apport très positif qui contribuerait, parmi d’autres, à faire avancer le projet de Déclarations autonomes sur « les religions non chrétiennes » d’une part et « la liberté religieuse d’autre part ».
A la fin de la première session, Mgr Ancel fut avec Mgr Guerry et Mgr Huyghe, évêque d’Arras, l’un des onze évêques français à intervenir publiquement sur le schéma traitant de l’Église. Mais tandis que le premier d’entre eux à s’être exprimé sur ce thème, le cardinal Liénart, avait insisté sur une théologie de l’Église comme Mystère, ou que Mgr Guerry avait entamé la réflexion fondamentale du Concile sur la collégialité épiscopale, l’intervention de Mgr Ancel, résumée par l’un des meilleurs chroniqueurs de ces assises, pouvait paraître à première vue plutôt simpliste: « Pour Mgr Ancel, les antinomies entre autorité et liberté, primauté et collégialité, juridisme et esprit se résoudront par le retour à l’Évangile. Il ne suffit pas de dire que l’opposition est simplement apparente, ou que les réalités sont complémentaires. La charte de l’Église est tracée dans l’Évangile. (…) Il ne faut donc pas opposer à une société juridique une communauté d’amour, mais dépouiller l’élément juridique de ce qui risque de défigurer, aux yeux des croyants ou des non-croyants, le véritable visage de l’Église ».
Simpliste ? À vrai dire, dans cette intervention faite à la veille de la clôture de la première session, Mgr Ancel entendait d’abord soutenir celle que le cardinal Lercaro, archevêque de Bologne, avait faite le jour précédent. Le Cardinal avait longuement parlé de la pauvreté, signe de l’Incarnation, et de l’évangélisation des pauvres comme signe du Royaume. L’intervention antérieure du cardinal Montini, archevêque de Milan, qui avait magistralement dégagé le thème de l’Église habitée par le Christ et le communiquant au monde comme « argument central » du Concile, avait moins retenu son attention. Mgr Ancel insistait pour qu’on montre mieux les sources évangéliques de l’Église, car cela permettrait, disait-il, de mieux fonder l’exercice du pouvoir en son sein comme un humble service. Et il concluait :
« Ce n’est pas en vain que le Saint Évangile est exposé solennellement dans l’aula du Concile chaque jour. Il ne suffit pas de le considérer seulement comme un livre de spiritualité, ni comme la simple illustration de thèses dogmatiques : c’est plutôt comme la source même de la doctrine que nous devons l’accueillir, car en vérité il l’est.
Au cours de la deuxième session, Mgr Ancel ne prit que trois fois la parole devant l’Assemblée, mais lorsqu’il intervint le 24 octobre 1963, il le fit au nom de cinq cardinaux et de soixante-cinq évêques français. De nouveau, l’amendement (présenté au chapitre six du schéma sur l’Église alors en discussion) mettait en avant le fondement évangélique. Mais, cette fois, c’était à propos de l’apostolat des laïcs. À un moment où le débat traînait en longueur, Mgr Ancel ne prenait position sur aucun de ces grands enjeux théologiques : sacerdoce des fidèles ou problème des charismes, etc. Il faisait devant l’Assemblée une sorte d’homélie où, citant plus de vingt versets du Nouveau Testament, il cherchait à montrer que l’apostolat, pour les laïcs, n’était pas une innovation contemporaine puisqu’il avait commencé dans les communautés primitives.
En somme c’était comme un nouveau chapitre du « Véritable Disciple » appliqué aux laïcs… On comprend un peu, en lisant les innombrables pages du Père Ancel où affleure l’Évangile à chaque ligne, pourquoi il écrira ce qui suit au Père Haubtmann à Noël 1964 : « Personnellement, je ne suis pas un exégète, et je sais que les exégètes ont quelque difficulté à admettre cet usage de la Bible (le mien), mais s’il faut recourir aux exégètes pour la signification des textes, je ne pense pas que l’usage de l’Écriture soit uniquement de leur ressort ». Cependant, « l’Écriture », pour Alfred Ancel, comme pour Antoine Chevrier d’ailleurs, c’était surtout les Évangiles et les Épîtres pauliniennes. Pour Mgr Ancel, il faut y ajouter les Actes des Apôtres. Quant à l’Ancien Testament, il s’y réfère rarement. Sans doute ne s’en est-il guère inspiré faute d’avoir accédé plus tôt à une étude compréhensive de ses « idées maîtresses », telles qu’un Albert Gelin, qui était pour lui un ami, aimait les développer à la Faculté de Théologie de l’Institut catholique à Lyon ?
Toujours est-il que son intervention du 24 octobre reçut « l’approbation des auditeurs laïcs» fraîchement admis aux assemblées du Concile.
Mystère de l’Église dans sa relation au Christ, « Lumière des Nations »
Extrait (page 221) de l’ouvrage de Mgr Olivier de Berranger, Alfred Ancel, un homme pour l’Évangile, 1898-1984, Centurion,1988.
Mgr Ancel, s’il intervint moins dans le débat, ne fut point inactif. Avant de s’exprimer à deux reprises, une fois par écrit et une autre par oral, sur la question centrale de la collégialité épiscopale, il fut l’un de ceux qui la pratiqua infatigablement. De même qu’à la première session, il avait par exemple participé aux rencontres organisées entre Français et Allemands, de même le voit-on passer par Florence avant de se rendre à Rome en octobre 1963, en compagnie de Mgr Garrone, Mgr Marty et Mgr Veuillot. Il s’agit alors d’une réunion organisée pour un échange avec les évêques italiens, qui aura le meilleur effet dans la suite du déroulement des travaux. De plus, un groupe très international s’était constitué dès 1962 autour du cardinal Lercaro, archevêque de Bologne, qui s’efforçait de faire avancer au Concile une prise de conscience sur les réalités du Tiers Monde et les exigences de la pauvreté évangélique dans l’Église.
Avant même de proposer ses amendements sur la question de la collégialité, Mgr Ancel était intervenu le 2 octobre, peu après le cardinal Gracias, pour parler de l’Église dans son rapport au Royaume de Dieu. Antoine Wenger souligne, en en rendant compte, que l’orateur était « connu des évêques du monde entier à cause de son expérience d’évêque ouvrier » : « Fidèle à la tendance qu’il avait manifestée à la première session, il apparaîtra tout au long du Concile comme un conciliateur et un modérateur, invitant les uns et les autres à trouver des positions de rencontre dans une fidélité authentique à l’Évangile et dans une loyale ouverture à notre temps. »
De fait, Mgr Ancel citait explicitement le cardinal Florit, archevêque de Florence, dans son intervention du 2 octobre. Il souhaitait indiquer, toujours à partir de l’Évangile, quelles « différences essentielles » on devait trouver dans l’Église, comparativement aux sociétés terrestres : « L’Église n’a rien à voir avec des sociétés qui seraient closes sur leurs propres fins ni avec une société qui voudrait dominer les diverses nations par sa propre force. » Le Royaume de Dieu est un royaume de paix qui, par la force de l’Esprit Saint, s’étend jusqu’aux confins de la terre. C’est pourquoi le Christ disait à ses disciples: « Sois sans crainte, petit troupeau, il a plu à votre Père de vous donner le Royaume » (Luc 12,32).
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