Un professeur apprécié
Extrait (pages 94-95) de l’ouvrage de Mgr Olivier de Berranger, Alfred Ancel, un homme pour l’Évangile, 1898-1984, Centurion,1988.
Alfred Ancel avait passé son doctorat de philosophie scolastique à l’Université Grégorienne le 18 juin 1920. Reçu avec la mention très bien (summa cum laude), on ne s’étonne pas de le retrouver professeur de philosophie au Séminaire du Prado dès 1928. Les anciens de cette époque se souviennent encore de ses vingt thèses thomistes énoncées avec clarté dans un latin qui, pour n’être point celui de Cicéron, exigeait cependant pour quelques-uns de longues séances de reprise. Le Père Ancel se faisait en effet un point d’honneur de suivre les directives romaines pour les séminaires. Mais il donna toute sa mesure dans l’enseignement de la philosophie aux Facultés catholiques de Lyon où le recteur, Mgr Fleury Lavallée, l’appela dès octobre 1932. Jusqu’en 1943, il devait y donner, écrira le cardinal Gerlier, « un enseignement vivant et profond qui conquiert la jeunesse étudiante, et dont l’excellence procédait tout à la fois de la loyauté intellectuelle du maître, et de son souci constant de toucher les âmes ».
Le Père Ancel qui, déjà absorbé par diverses tâches, devait le plus souvent travailler la nuit à la préparation de ses cours, obtint un réel succès auprès de ses auditeurs. Combien, tel un Henri Lugagne par exemple, devenu évêque de Pamiers, s’en souviendront encore avec plaisir plusieurs décades plus tard… Il n’y avait pas que les élèves des cours de philosophie à s’en souvenir, car le Père Ancel donna aussi deux grandes conférences publiques, plusieurs fois rééditées en petites brochures : l’une, en 1941, sur « Dieu à la lumière de la raison », et l’autre, en 1942, sur « L’homme à la lumière de la raison ». Leur influence déborda nettement le cadre lyonnais et universitaire. Mais ses conférences révélèrent surtout un orateur. Et là se trouve d’abord la raison du succès des cours eux-mêmes. Le Père Ancel ne lisait jamais un texte d’une voix neutre et indifférente à son auditoire. Il cherchait à rejoindre ses interlocuteurs comme s’il voulait entrer en conversation amicale avec chacun d’eux. C’est cela qui séduisait ses étudiants, tout comme le peuple chrétien des paroisses qui écoutait ses homélies, ou les jeunes filles assidues aux retraites qu’il prêchait. Toutes proportions gardées, on peut dire de lui ce qu’un Mgr Blanchet écrira d’un homme qu’Alfred Ancel a lui-même reconnu comme un maître en philosophie, Auguste Valensin : « Pour lui la pensée doit être communiquée et ne pas redouter l’épreuve du dialogue (…). Nulle connaissance n’est à ses yeux bien maîtrisée dont le premier venu ne puisse faire son profit .»
Métaphysique générale
Extrait (pages 95-96) de l’ouvrage de Mgr Olivier de Berranger, Alfred Ancel, un homme pour l’Évangile, 1898-1984, Centurion,1988.
Un livre volumineux parut longtemps après que son auteur eût cessé ses cours, sous le titre de Métaphysique générale. L’ouvrage fut salué dans de nombreuses revues spécialisées et obtint quelques élogieuses recensions, mais n’eut pas l’écho qu’avait eu en son temps La Pauvreté du Prêtre. Certains y virent surtout « un magnifique recueil de définitions et de thèses philosophiques ». Bien des professeurs de séminaire, qui ne bénéficiaient pas toujours d’une préparation suffisante pour leur fonction, en firent leur manuel de prédilection. Mais, plus encore que La Pauvreté du Prêtre, ce livre au sujet austère souffrait d’un grave problème de rédaction, puisqu’il reproduisait, en une compilation hâtive, des notes d’élèves, comme le Père Ancel s’en expliqua dans la préface. On peut imaginer qu’au début des années 50, le Père Ancel avait encore moins le temps qu’au moment de la guerre de reprendre à nouveaux frais cet ouvrage. Les références imprécises aux auteurs consultés laissent insatisfaits les lecteurs qui se sont tenus au courant des progrès de la pensée en philosophie, y compris le thomisme. C’est l’une des raisons pour lesquelles ce livre ne resta guère sur les rayons des bibliothèques personnelles et prit même assez vite de la poussière sur ceux des bibliothèques des grands séminaires.
Dans ces conditions, faut-il donc en parler, demandera-t-on? Il nous a semblé que oui. En effet, si l’on veut se situer du point de vue d’Alfred Ancel lui-même, le fait qu’il ait, malgré tout, entrepris la publication de ce livre en 1952-1953 prouve que, bien qu’il en reconnût les limites sérieuses, il en jugeait toujours la valeur justifiée. Ce livre est donc l’état de sa pensée philosophique au moment où il a atteint la pleine maturité de son âge. D’ailleurs, les notes assez nombreuses qu’il prit quand même le temps de rédiger dans le calme de La Roche au cours de l’été 1952, si elles indiquent ici et là tel ou tel complément qu’il eût été nécessaire de développer, sont surtout intéressantes parce qu’elles confirment une synthèse d’ensemble. C’est donc à partir de ce document, pris comme tel, qu’on peut se faire une idée de la cohérence intime des idées qui ont animé le Père Ancel toute sa vie.
Quel que soit en effet l’intérêt des autres sources qui existent pour connaître sa pensée – notes non publiées ou articles divers parus entre 1932 et 1950 – ce livre est pour l’essentiel le fruit d’un enseignement fondamental s’étalant sur plus de dix ans. On doit dès lors en conclure qu’il existe des relations très profondes, quoique cachées aux témoins de la seule action de cet homme, entre la pensée qu’il y a développée et tout le champ de ses activités ultérieures. C’est même, croyons-nous, à la condition de saisir un tant soit peu le ressort de la pensée qu’on peut se permettre de fonder, de manière critique, l’appréciation que l’on porte sur les activités. Sans doute, comme l’écrira l’un de ses censeurs les plus bienveillants, qui compare en 1954 le Père Ancel à Saint Bonaventure devenu ministre général des Frères Mineurs puis évêque : « N’y a-t-il pas quelque inconvénient à poser des questions à un philosophe qui n’a plus le loisir de philosopher ? » Mais il faut répondre qu’Alfred Ancel, même dans l’enseignement, aimait avant tout le dialogue, ainsi qu’il le répétait à ses étudiants le 6 décembre 1932 avant de commencer un cours de Théodicée : « Il me semble que la scolastique demande une collaboration étroite entre professeur et élèves. Objections, demandes d’éclaircissements : plutôt conversation que cours. »
C’est dans cet esprit que nous voulons entreprendre ici une petite réflexion sur le contenu de la Métaphysique générale, et aider un peu par là, peut-être, à comprendre le dessein d’une existence.
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