L’étude spirituelle de l’Évangile

Ce travail a été présenté à la session sur l’Étude de l’Évangile de juillet 2009 à Limonest. Il essaie de nous rapprocher de l’Étude de l’Évangile en tant qu’étude spirituelle. L’Esprit Saint est vraiment l’âme de cette étude : il forme le Christ dans l’Incarnation et dans l’Eucharistie. Il donne la vie à la parole écrite qui devient Parole vivante comme une deuxième Incarnation. Comme l’Esprit habite les Écritures, nous sommes appelés à nous laisser conduire par lui dans la lecture, l’étude et l’annonce de cette parole de grâce et de vie qui nous a été confiée. 

Introduction  

L’Église vit de la Parole de Dieu. La parole de Dieu a toujours été source de renouvellement et de réforme de la vie de l’Église tout au long de l’histoire.  

Dieu a voulu que l’Écriture soit un des éléments constitutifs de l’Église pour que, guidée par l’Esprit Saint, elle puisse réaliser sa mission d’annoncer à toutes les nations la puissance du salut de Dieu – la Bonne Nouvelle de l’Évangile. Dans le témoignage de la Bible, l’Église trouve la nourriture de sa foi et de son espérance, la substance de sa pensée, le guide qui oriente ses actes.  

Dès ses tout débuts, l’Église se rassemble autour de la Parole de Jésus Christ prêchée par les apôtres. C’est ce que nous pouvons appeler l’expérience fondatrice de l’Eglise à la Pentecôte. Dans un second temps, presque dès la fin de l’époque apostolique, on commence à mettre par écrit les paroles de Jésus et la prédication des apôtres. Ce qui se passe alors et qui va durer pratiquement pendant la seconde partie du premier siècle, c’est encore sous l’impulsion de l’Esprit Saint qui réalise ainsi une seconde incarnation de la parole écrite.  

L’Esprit Saint habite la Parole de Dieu. Son inspiration ne se limite pas à la seule période de sa mise par écrit ; elle anime toute la vie de l’Église. L’Esprit Saint ouvre l’intelligence et le cœur des croyants de façon qu’ils comprennent les Ecritures et qu’ils les interprètent dans le sens que lui, il a voulu leur donner.  

L’action de l’Esprit Saint s’est faite très présente à l’époque apostolique et post-apostolique, mais aussi dans tous les efforts des Pères de l’Église pour inculturer la révélation dans la culture grecque et latine. Cette activité de compréhension et d’inculturation s’est poursuivie au long de l’histoire : au Moyen Age en franchissant les frontières de l’Empire Romain, à l’Époque Moderne avec l’évangélisation du Continent Américain, plus tard en Afrique et en Asie.  

L’Église vit de la Parole de Dieu, c’est sa principale nourriture (Mt 4,4 ; DV 24). Et cette parole doit être lue et méditée dans la lumière de l’Esprit, car lui, il en fait la Parole vivante et actuelle. Voilà la longue expérience et le grand trésor que nous trouvons dans la riche tradition de l’Église. Dans cette tradition se détache une voix originale, celle d’Antoine Chevrier avec l’étude spirituelle de l’Écriture : l’Étude de l’Évangile.  

I – L’ACTION VIVIFIANTE DE L’ESPRIT SAINT  

C’est l’Esprit qui forme Jésus Christ, le Verbe fait chair, dans les entrailles de Marie ; et c’est encore lui qui fait de l’Écriture la Parole vivante et actuelle de Dieu.  

1 – L’action de l’Esprit en Jésus Christ, le Verbe fait chair  

Pour révéler et faire connaître son dessein de salut, Dieu a choisi le chemin de l’Incarnation. L’Incarnation porte en elle ce geste de Dieu, cet effet de se rendre proche, d’assumer la condition humaine afin de pouvoir être compris et reconnu par l’homme qui est son image. Voilà pourquoi non seulement il se fait chair, mais encore il se fait langage, et surtout il se fait parole humaine pour communiquer son dessein d’amour et pour associer l’humanité à son œuvre de salut.  

C’est sous l’impulsion et l’animation de l’Esprit Saint que se développe le dynamisme de l’Incarnation. Il forme le corps humain du Fils ; il nous révèle que Jésus est le Fils du Très-Haut, le Dieu avec nous (Lc 1,35 ; Mt 1,20-23). Mais l’activité de l’Esprit ne se réduit pas au seul moment de l’incarnation. Il est présent dans toute la vie de Jésus en manifestant comment l’homme Jésus est le Fils de Dieu, comment il est venu réaliser la volonté du Père en se mettant au service de la mission qu’il lui a donnée.  

L’Esprit est celui qui, dans le Jourdain, confère l’onction et consacre Jésus Christ comme le Messie qui rend présent dans le monde le Royaume de Dieu : un Messie, Fils bien-aimé du Père, qui s’est fait aussi Parole que nous, les hommes, nous devons écouter : « Voici que les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici qu’une voix venant des cieux disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir » (Mt 3,16-17).  

Jésus annonce le Royaume de Dieu. Il réalise sa mission sous l’impulsion et l’emprise de l’Esprit qui implante le Royaume au cœur des réalités humaines, dans les profondeurs les plus dures et conflictuelles, dans les problèmes les plus impénétrables auxquels le plus souvent nous échappons avec la majorité des hommes (Lc 4,14-30 ; 7,21-23). Cela entraîne donc des conflits avec l’esprit du monde, avec les esprits mauvais qui asservissent l’humanité. Le récit des tentations et les exorcismes qu’accomplit Jésus nous montrent combien l’Esprit Saint reste actif dans ce combat. Il nous manifeste qu’en Jésus, Dieu s’engage dans la libération de tout ce qui réduit l’humanité en esclavage. Ainsi, nous ne sommes plus esclaves, mais fils, autrement dit libres (Lc 4,1-13 ; 31-37 ; 11,14-22).  

L’Incarnation conduit Jésus à embrasser la condition humaine avec tout ce que cela implique, y compris une mort injuste. « Dans sa condition d’homme, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix » (Ph 2,7-8). Mais l’action de l’Esprit ne s’interrompt pas avec la mort de Jésus sur la croix. Dans la foi et la confiance, au Calvaire Jésus remet son esprit au Père. L’esprit du Fils exerce sa puissance au-delà de la mort, au-delà des limites de la chair. Il pénètre la vie véritable, celle de l’Esprit, que nous appelons résurrection. C’est ce que rappelle Paul aux Corinthiens qui éprouvent des difficultés à croire en la résurrection, en la vie nouvelle dans l’Esprit : « Le premier homme Adam fut un être animal doué de vie, le dernier Adam est un être spirituel donnant la vie » (1 Co 15,45).  

L’Esprit agit en sorte que Jésus ne soit pas un mort, ni un personnage du passé, mais qu’il soit le Fils glorifié, assis à la droite du Père, et en même temps présent tous les jours jusqu’à la fin du monde. C’est la grande confession de foi que fait Paul dans la lettre aux Romains : « Mis à part pour annoncer l’Evangile de Dieu (…) Cet Evangile concerne son Fils, issu selon la chair de la lignée de David, établi selon l’Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa Résurrection d’entre les morts » (Rm 1,1-4 ; 8,11).  

L’Esprit nous révèle et nous fait voir l’humanité de Jésus. En même temps, il nous atteste que Jésus est le Fils de Dieu, que tout en l’homme Jésus dévoile le Père. Il est, lui, le Verbe, la Parole du Père ; il a pris chair et il a planté sa tente au milieu de nous (Jn 1,14). Le Verbe éclaire l’humanité nouvelle. Le lien d’union, le lien de famille n’est plus la chair ni le sang ; c’est l’Esprit et la foi : « Mais à ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu » (Jn 1,1213 ; 3,5- 7).  

Comme nous l’avons dit, l’Esprit rend présent Jésus Christ ressuscité et il garantit sa permanence dans le monde d’une manière continue : « Moi, je prierai le Père : il vous donnera un autre paraclet qui restera avec vous pour toujours. C’est lui l’Esprit de vérité…Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous… » (Jn 14,16-20). Cette présence de Jésus grâce à l’Esprit est particulièrement évidente et proche dans l’Eucharistie. Par son action, l’Esprit fait du pain et du vin le Corps et le Sang du Seigneur ressuscité et en permanence il nous l’offre comme aliment de vie. « Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit ; qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur » (Prière Eucharistique II). Dans le quatrième Evangile, la conclusion du discours eucharistique dans la synagogue de Capharnaüm confirme que l’Esprit en Jésus agit en principe de vie et de transformation ; pour nous Jésus devient pain de vie, nourriture de vie éternelle : C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert à rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie » (Jn 6,63).  

L’esprit nous révèle que Jésus est la Parole qui, depuis le commencement, était tournée vers Dieu, qu’il est Dieu, et qu’il a établi sa tente parmi nous (Jn 1,1-2.14). Il ne s’agit pas de n’importe quelle parole, mais d’une parole vivante, d’une parole qui est une personne et qui nous exprime parfaitement qui est Dieu : « Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé » (Jn 1,18). Cette parole claire, transparente, définitive que Dieu prononce sur toute l’humanité, c’est son Fils : « Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu’il a établi héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes » (He 1,1-2).  

À grands traits et succinctement, nous avons évoqué l’action de l’Esprit dans le Fils, le Verbe fait chair, la Parole du Père, qui nous dévoile l’amour et la communion au sein de la famille trinitaire. L’Esprit est celui qui nous rappelle les paroles de Jésus et qui nous amène à la connaissance véritable du Fils par la foi : « Lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir » (Jn 16,13).  

2 – L’action de l’Esprit Saint dans l’Ecriture  

Tout ce que nous venons d’exprimer sur l’action de l’Esprit Saint dans le Verbe fait chair, dans la Parole vivante et personnelle du Père, se réalise d’une manière semblable dans l’Écriture Sainte, la parole écrite. L’Ecriture devient Parole de Dieu sous l’action de l’Esprit Saint. Cette même action de l’Esprit continue d’animer, très présente, ce que nous pouvons appeler tout le processus de la gestation des Ecritures : elles viennent comme une suite et un prolongement de l’Incarnation ; son éclosion est l’inspiration des livres sacrés. Mais nous n’allons pas développer ce thème ici.  

C’est l’Esprit qui garantit la continuité entre d’une part le Verbe, la Parole définitive du Père, et d’autre part le témoignage que lui rendent les livres sacrés, la parole écrite qui nous révèle aujourd’hui tout le dessein de Dieu sur le salut. 

L’Esprit Saint reste actif dans tout le processus d’élaboration des livres de la Bible. Une action et une influence qui continuent d’agir encore dans l’interprétation et dans la lecture des textes sacrés ; c’est ce que confirme la constitution Dei Verbum du Concile Vatican II : « A l’intérieur des paroles, il est une âme qui les inspire et qui procure la force à celui qui s’en approche avec foi » (cf. DV 24). « L’Écriture Sainte doit être lue et interprétée avec le même Esprit qui l’a fait écrire » (DV 12). Le véritable sujet, ce n’est pas l’être humain, c’est l’Esprit Saint. C’est lui qui exerce une véritable influence sur l’auteur sacré, sur le lecteur et sur l’interprète. La présence de l’Esprit ne se cantonne pas au texte définitif que nous acceptons comme inspiré, mais elle se manifeste aussi chez le croyant qui lit et interprète la Parole. Auteur, lecteur, interprète, tous sont habités et animés par l’Esprit.  

Concernant la présence de Jésus dans toute l’Écriture, Henri de Lubac s’exprime bien et profondément au sujet de cette vérité que nous révèle l’Esprit : « Ce ne sont pas seulement les livres sacrés qui furent inspirés à un moment donné. Les mêmes livres sacrés sont et restent inspirés… L’Esprit ne s’est pas contenté de dicter l’Écriture, il s’est enfermé en elle. Elle est fécondée par le miracle de l’Esprit Saint ».  

Les paroles de Dieu se sont exprimées dans des mots humains, elles sont devenues semblables au langage humain. Tout comme, dans un autre temps, le Verbe du Père éternel, en assumant « la chair de la faiblesse humaine », s’est fait semblable aux hommes.  

Le Verbe s’est fait parole humaine ; en s’inspirant du verbe « s’incarner », on pourrait dire qu’il « s’est emparolé ». Car il s’agit vraiment d’une incarnation du Verbe dans la parole : il s’est fait présent dans cette chair vulnérable, éphémère des mots, et c’est par là qu’advient le salut. A travers les humbles mots des saintes Écritures, le Verbe nous parle. A travers les mêmes mots, nous avons accès au Verbe, Parole de Dieu.  

Epiclèse sur la parole  

L’Esprit souffle la vie sur la parole écrite et situe le Livre dans l’amplitude plus considérable du mystère de l’Incarnation et de l’Église. Dès lors, grâce à l’Esprit Saint, la Parole de Dieu est une réalité liturgique et prophétique, elle est annonce avant d’être livre, elle est témoignage de l’Esprit Saint sur la présence de Jésus Christ comme révélation du Père, dont le moment privilégié est l’Eucharistie.  

La proclamation de la Parole de Dieu contenue dans l’Ecriture est une action de l’Esprit : de même que dans le passé il a œuvré pour que la Parole devienne livre à travers l’inspiration, maintenant dans la liturgie il transforme le livre en Parole, en en faisant la présence aimante du Père à la rencontre de ses fils pour prendre parole avec eux (DV 21).  

D’où l’étroite relation qui s’établit entre Parole et Eucharistie ; nous devons continuer de l’approfondir comme nous avertit saint Jérôme ; nous en trouverons d’ailleurs un écho chez Antoine Chevrier comme nous le signalerons plus tard. La Chair du Seigneur, véritable nourriture et son Sang, véritable boisson, sont le véritable bien qui nous est réservé dans la vie présente : se nourrir de sa Chair et boire son Sang, pas seulement dans l’Eucharistie mais aussi dans la lecture de l’Ecriture Sainte. En effet, la Parole de Dieu est véritable nourriture et véritable boisson qu’on obtient à travers la connaissance des Ecritures.  

Pour que la Parole écrite soit Parole vivante de Dieu, il faut une épiclèse : la Sainte Tradition est l’épiclèse de l’Histoire du Salut, c’est la théophanie de l’Esprit Saint, sans quoi l’histoire reste incompréhensible et l’Écriture lettre morte. De même que l’Eglise invoque l’Esprit pour que s’accomplisse la transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ, pareillement l’Église invoque l’Esprit et reçoit son aide dans la Tradition, afin que l’Écriture retrouve vie et soit Parole de Dieu vivante et efficace à chaque moment de la vie de l’Église. 

La Parole de Dieu ne reste pas fossilisée dans la Bible. Elle est en attente et repose dans la Bible, mais elle n’est pas pétrifiée ; ce n’est pas non plus un animal inerte et naturalisé ; elle n’est pas nécrosée dans un livre imprimé. On pourrait dire qu’elle « dort ». Elle attend que la puissance de Dieu la réveille. Nous venons de le dire, elle a besoin d’une épiclèse – d’une invocation faite à l’Esprit – qui lui donne vie et la transforme. Sans cette épiclèse, la Parole reste endormie, elle ne s’éveille pas.  

L’intelligence de la foi  

Ce n’est que dans la foi que l’on peut accueillir et comprendre toute cette action de l’Esprit qui révèle et vivifie. Pour capter ce que Dieu a voulu nous dire, il faut se situer du point de vue de la foi ; en effet, le message de la révélation divine est essentiellement en relation avec notre vocation et notre destinée les plus profondes. Il faut découvrir sous les mots du texte la vérité de notre salut. Nous ne pourrons y accéder que dans l’Esprit Saint : « Il touche le cœur de l’homme, il le tourne vers Dieu pour ouvrir les yeux de son âme, et il donne à tous la joie profonde de consentir et de croire à la vérité » (DV 5).  

Le type de relation qu’on peut avoir avec la Parole de Dieu est clairement déterminé par une vision de foi. Chaque fois que le croyant prend la Bible et se met à la lire avec foi, la puissance et toute la capacité d’inspiration de l’Esprit Saint deviennent réelles. Mais si on ne lit pas la Bible à la lumière de l’Esprit, ce n’est plus une lecture croyante ; c’est alors une lecture qui perd toute sa valeur et ses propriétés, une lecture qui se situe à la marge de la foi de l’Eglise. Par contre la sagesse de la foi nous permet d’entrer dans le sens le plus profond du texte, dans une parole réellement chargée de révélation. Saint Grégoire le Grand nous parle de la nécessité de cette sagesse, de ce que nous appelons l’intelligence de la foi : « Les Paroles de Dieu ne peuvent absolument pas être pénétrées sans cette sagesse, car si quelqu’un n’a pas reçu l’Esprit de Dieu, il ne peut en aucun cas comprendre les paroles de Dieu ».  

Le croyant est d’abord quelqu’un qui écoute. C’est ce qui identifie le véritable croyant qui a accueilli les Paroles et les commandements du Seigneur : « Ecoute, Israël ! » Dieu appelle à écouter avec l’oreille du cœur. Celui qui écoute ainsi confesse la présence de celui qui lui parle et qui désire s’engager avec lui ; il cherche en lui-même un espace pour que l’autre puisse habiter en lui. De tout cela se dégage la figure anthropologique que la Bible désire construire, celle de l’homme capable d’écouter (1 R 3,9). Mais cette écoute n’est pas une simple audition de phrases bibliques, c’est un discernement de la Parole de Dieu que l’Esprit lui-même réalise. Cela exige la foi et doit se réaliser dans la lumière de l’Esprit Saint.  

La prière  

L’écoute dans la foi est indissolublement liée à la prière. Que ce soit dans la liturgie, en groupe ou individuellement, la lecture biblique doit toujours s’accompagner de la prière, et ce sera notre réponse dans le dialogue avec la Parole que Dieu nous adresse : « La prière – qu’on se le rappelle – doit accompagner la lecture de la Sainte Ecriture pour que s’établisse un dialogue entre Dieu et l’homme, car c’est à lui que nous nous adressons quand nous prions ; c’est lui que nous écoutons quand nous lisons ses paroles » (DV 25). C’est pourquoi il est nécessaire qu’au-delà des paroles se prolonge le silence. L’Esprit Saint donne à connaître et à comprendre la Parole de Dieu en s’unissant silencieusement à notre propre esprit (Rm 8,26-27). Pour parvenir à une interprétation pleinement valide des paroles inspirées par l’Esprit, on doit se laisser guider par lui ; et pour cela, il est indispensable de prier, de prier beaucoup, de demander dans la prière la lumière intérieure de l’Esprit Saint, puis d’accueillir docilement cette prière.  

La prière devient ouverture, accueil et adoration. En elle, il y a place pour l’adoration de la Parole, pour l’oraison de foi et à genoux. En effet, notre lecture de la Bible est une rencontre avec un texte qui est comme une terre sainte où Dieu habite. Devant la sainteté du texte de la Bible, le lecteur croyant doit « quitter ses sandales », comme l’avait fait Moïse devant le mystère du buisson ardent ; il n’y a qu’à écouter celui qui lui parle.  

L’Esprit agit en sorte que l’Écriture ne soit pas un simple texte imprimé mais une révélation de Dieu. La place primordiale et le rôle principal de l’Esprit ne diminuent en rien l’apport des sciences humaines quand il s’agit de comprendre le sens profond de la Parole de Dieu. Ainsi une intelligence spirituelle de l’Écriture suppose un engagement exigeant dans l’étude des sciences bibliques, puisqu’on ne doit jamais séparer la compréhension spirituelle de la recherche exégétique. La foi ne dispense pas d’un travail consciencieux et sérieux. Au contraire, il le réclame impérativement, il le requiert comme une urgence. Cependant nous ne pouvons pas oublier qu’une compréhension de foi est nécessaire pour pénétrer le sens des paroles de l’Écriture Sainte.  

C’est dans la Parole de Dieu que l’Église rencontre l’annonce de son identité, la grâce de sa conversion, son envoi en mission, la règle absolue de la foi. C’est pourquoi cette parole vivifiée par l’Esprit est avant tout une Parole méditée, étudiée, priée et célébrée, qui nourrit et articule la vie de l’Église.  

Antoine Chevrier s’inscrit dans la riche tradition de si nombreux témoins de l’Évangile qui ont lu et étudié la Parole de Dieu dans la lumière de l’Esprit. Là se trouve la source qui a inspiré, jeté les bases et soutenu la mission et l’œuvre du Prado. C’est dans son écoute et dans son étude de Notre Seigneur qu’est né le Prado.  

II – L’ÉTUDE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS CHRIST, UNE ÉTUDE SPIRITUELLE  

Jusqu’à présent nous avons essayé de mettre en lumière l’action de L’Esprit Saint en Jésus, le Verbe fait chair, la Parole définitive du Père puis son action dans l’Ecriture, la parole de Dieu écrite, vivante et actuelle. Toute cette réflexion revient à poser les fondations sur lesquelles s’appuie et se structure l’Étude d’Évangile, aussi bien dans l’expérience d’Antoine Chevrier que dans la praxis du Prado, avec une même fidélité à la riche tradition de l’Église qui lit l’Écriture Sainte dans le souffle et la lumière de l’Esprit.  

Tout le dynamisme, toute l’activité créatrice et porteuse de vie de l’Esprit Saint dans le Verbe et dans l’Ecriture se font présents et actuels dans l’Étude d’Évangile ; nous, nous l’appelons « étude spirituelle de l’Évangile », c’est-à-dire une étude faite dans l’Esprit Saint.  

1 – Étude spirituelle  

L’expression « Étude de notre Seigneur Jésus Christ » est utilisée de manière répétée par le Père Chevrier. Il l’a reprise de « l’Imitation de Jésus Christ ».  

Dans ce cas, le mot « étude » n’a pas un sens scolaire ni purement intellectuel. Il s’agit d’une étude qui doit se réaliser en faisant appel à l’intelligence bien sûr, mais qui attache plus d’importance à la dimension affective, aux raisons du cœur, à l’amour. Plutôt qu’à une obligation, cette étude répond à un attrait intérieur, c’est une véritable passion. Pour le Père Chevrier, le mot « étude » prend des connotations d’attachement de tout cœur, de goût, de zèle. Dans cette étude, on trouve la plus grande joie et, du coup, on lui consacre son temps et ses soins. La connaissance de Jésus Christ, c’est la passion du Père Chevrier. C’est une étude qui naît de l’amour, qui se développe dans l’amour et qui aboutit à l’amour. L’Esprit produit la connaissance de Jésus Christ.  

Le Père Chevrier ne parle pas d’étude spirituelle de l’Évangile. Habituellement, il parle plutôt d’« Étude de Jésus Christ », mais il établit une relation étroite entre l’étude de l’Évangile, l’étude des paroles de Jésus et l’Esprit Saint.  

C’est l’Esprit Saint qui dévoile les mystères de Dieu et les révèle aux hommes. Le Père Chevrier l’affirme dans une étude d’Évangile sur l’Esprit Saint et il appuie cette affirmation avec un texte de la lettre aux Ephésiens : « Vous pouvez constater, en me lisant, quelle intelligence j’ai du mystère du Christ. Ce mystère, Dieu ne l’a pas fait connaître aux hommes des générations passées comme il vient de le révéler maintenant par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes » (Ep 3,4-5).  

Antoine Chevrier fait l’expérience que l’Esprit est dans l’Évangile, dans les paroles de Jésus Christ. L’Écriture est habitée par l’Esprit Saint qui fait d’elle la parole du Christ vivant et actuel, une lettre écrite pour nous dans notre cœur. C’est pourquoi le disciple et l’apôtre doivent étudier l’Évangile pour connaître Jésus Christ et pour l’aimer : « L’esprit de Jésus Christ se trouve dans la parole de Notre Seigneur surtout. L’étude du saint Evangile, les paroles et les actions de Jésus Christ, voilà toute notre étude, voilà ce que nous devons chercher à connaître et à comprendre » (Yves Musset : le Christ du Père Chevrier, p.40). Pour cela même, cela doit être un travail continuel et constant afin de nous initier et de grandir dans cette connaissance, dans l’intelligence de la foi.  

Nous l’avons déjà noté, les Écritures sont œuvre de l’Esprit. Dans l’étude de l’Évangile, nous accueillons le témoignage de l’Esprit et nous nous en remettons à lui pour qu’il guide toute notre existence de disciples et d’apôtres de Jésus Christ. L’étude des Ecritures, nous la faisons sous la lumière et l’action de l’Esprit Saint (c’est une étude « spirituelle ») de telle manière que notre recherche ne soit pas centrée sur un message ou un livre, mais sur la personne du Verbe qui se révèle dans les paroles et dans les gestes que nous rapportent les Écritures : « Lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir. Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera » (Jn 16,13-14). L’étude spirituelle de l’Évangile conforme au Christ.  

Un véritable disciple de Jésus, c’est quelqu’un dont l’Esprit Saint s’est emparé. Celui-ci l’amène à la connaissance et à la pleine communion avec Jésus Christ, jusqu’à ce que le disciple parvienne à penser et à agir comme Jésus Christ, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un avec lui. « Le disciple de Jésus Christ est un homme qui est rempli de l’esprit de son Maître, qui pense comme son Maître, qui le suit en tout et partout… Cet esprit est répandu dans le Saint Évangile » (VD 510). Cultiver cette grâce, cette étude spirituelle, c’est ouvrir toute notre vie à l’Esprit Saint qui forme Jésus Christ en nous, ainsi même que par l’Incarnation il avait formé Jésus en Marie. L’action et la présence de l’Esprit n’est ni spectaculaire, ni visible ; elle est simple et discrète. On le trouve caché dans l’histoire et dans l’écrit. C’est pourquoi le Père Chevrier nous renvoie aux Écritures ; l’Esprit y est toujours présent pour se communiquer à celui qui les écoute ou les lit, uni à la foi de l’Eglise. Animé par l’Esprit, le disciple entre dans une intelligence plus profonde des Ecritures. Il se laissera ainsi recréer dans son action par le même Esprit qui l’amène à la connaissance et à la communion avec le Christ lui-même.  

Cette étude spirituelle de l’Ecriture, on la fait toujours dans la foi de l’Église. En effet sans l’Esprit, on ne peut se conformer à Jésus Christ, pas plus qu’il ne peut y avoir de témoignage apostolique. L’Esprit Saint est l’âme, la source d’une nouvelle incarnation du Verbe dans notre esprit à travers l’Ecriture inspirée qui révèle et rend présent l’Envoyé du Père dans la communauté des croyants. Cette étude des Écritures fonde le témoignage du Christ mort et ressuscité, elle nous amène à tout discerner, à tout voir et à tout lire à partir de lui : « Nous n’en parlons pas dans le langage qu’enseigne la sagesse humaine, mais dans celui qu’enseigne l’Esprit (…) car c’est spirituellement qu’on en juge. L’homme spirituel juge de tout et n’est lui-même jugé par personne. Car qui a connu la pensée du Seigneur pour l’instruire ? Or nous, nous avons la pensée du Christ » (1 Co 2,13-16).  

Pour posséder l’Esprit ou nous laisser investir par lui, le chemin passe par la personne du Verbe contemplé dans les Écritures. La lecture et l’étude assidue des Ecritures sont fondamentales dans la vie du disciple et de l’apôtre, elles ne peuvent pas être seulement occasionnelles. Il ne s’agit donc pas de fréquenter l’Évangile de temps en temps, mais de laisser la main de l’Esprit nous submerger dans les eaux profondes de l’Évangile.  

« Il faut d’abord lire et relire le Saint Évangile, s’en pénétrer, l’étudier, le savoir par cœur, étudier chaque parole, chaque action, pour en saisir le sens et le faire passer dans ses propres pensées et dans ses actions. C’est dans l’oraison de chaque jour qu’il faut faire cette étude et qu’il faut faire passer Jésus Christ dans sa vie » (VD 227). Comme le rappelle et en témoigne le Père Chevrier, il y a une forte interaction entre l’étude de l’Évangile et la prière ; toutes deux s’appellent et se fécondent l’une l’autre. Un autre fruit de cette interaction, c’est la conversion qui naît de la rencontre avec Jésus Christ, quand on se laisse conduire par l’Esprit. Il est l’âme de cette étude qui nous fait entrer en lutte et en confrontation avec notre propre esprit et avec l’esprit du monde : « Qui sont ceux qui ont l’esprit de Dieu ? Ce sont ceux qui ont prié beaucoup et qui l’ont demandé longtemps. Ce sont ceux qui ont étudié longtemps le Saint Évangile, les paroles et les actions de Notre Seigneur, qui ont travaillé longtemps à réformer en eux ce qui est opposé à l’esprit de Notre Seigneur » (VD 227).  

L’étude spirituelle de l’Évangile nous mène à la connaissance de Jésus Christ, à sa rencontre personnelle, et c’est ce qui nous permet d’entrer en une relation de dialogue avec Jésus en tant que notre contemporain. De plus, cette expérience de rencontre est l’âme de la mission. A travers l’Etude d’Évangile, et comme il l’a fait avec Jésus dans la synagogue de Nazareth, l’Esprit nous pousse à aller vers les pauvres, à faire nôtre leur vie et à leur annoncer la Bonne Nouvelle de l’Évangile. C’est pourquoi, nous le répétons une fois encore, l’étude des Écritures, c’est l’étude de la personne de Jésus Christ ; non pas une recherche d’accumulation d’informations sur Jésus, mais une recherche de communion pour ne devenir plus qu’un avec le Christ. C’est ce que reflète l’expérience de la nouvelle connaissance de Jésus Christ qu’a pu découvrir l’apôtre Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2,20).  

2 L’Étude de Notre Seigneur Jésus Christ  

Nous avons déjà indiqué que cette expression n’est pas du Père Chevrier. Il l’a reprise à « l’Imitation de Jésus Christ » alors qu’il était étudiant en théologie. Elle apparaîtra ensuite et se répètera dans ses écrits.  

Au temps du Père Chevrier, comme aujourd’hui en Europe, s’était généralisée l’ignorance religieuse, la méconnaissance de Jésus Christ, surtout dans la classe ouvrière qui émergeait alors des débuts de la révolution industrielle. Cela a marqué la vie d’Antoine Chevrier et a interpellé sa manière d’exercer son ministère. Pour lui, connaître Jésus Christ, c’est tout. En conséquence, ce qui est primordial dans la vie du chrétien, dans la vie du prêtre, c’est d’étudier Jésus Christ pour arriver à le connaître.  

Mais cette étude n’est pas un travail intellectuel, scolaire ou d’investigations. L’objectif visé n’est pas l’information, mais la connaissance d’une personne : c’est que le Christ prenne forme en ceux qui le recherchent à travers la connaissance de la foi. Cette recherche-là n’est pas centrée sur une doctrine ou sur un livre, mais sur Jésus Christ qui se révèle dans les paroles et les gestes que rapporte l’Écriture. Cette étude a aussi à voir avec l’amour, car l’amour évoque la présence ; il évoque la communion avec la personne qu’on aime.  

Chez Chevrier, cette étude prend naissance dans la contemplation de Jésus Christ. Toute sa vie est restée marquée par l’expérience de la grâce de Noël 1856, c’est-à-dire de sa contemplation du mystère de l’Incarnation. De là venait son ardeur constante à ce que l’Envoyé du Père soit connu de tous. Cela va être son grand travail : connaître Jésus Christ pour le faire connaître. « Ne sommes-nous pas là pour cela et pour cela seul : connaître Jésus Christ et son Père, et le faire connaître aux autres… » (Lettre 181)  

Avant la grâce de Noël 1856, on ne trouve pas d’Etude d’Évangile dans les écrits du Père Chevrier. L’Étude de Jésus Christ a donc une origine mystique et apostolique, la grâce de Noël. Sans la lumière particulière contemplée dans le mystère de l’Incarnation, on ne pourrait pas expliquer sa manière admirable et surprenante de commenter le Prologue de Saint Jean : « Le Verbe s’est fait chair ».  

L’Étude de Jésus Christ dans l’Eucharistie  

« Étudier Jésus Christ dans sa vie mortelle, dans sa vie eucharistique, sera toute mon étude » (1er Règlement 1857).  

Il est significatif que la première Étude d’Évangile du Père Chevrier soit précédée d’une étude sur l’Eucharistie. C’est ainsi que Jésus Christ s’unit à nous, et nous à lui. Cela nous indique que l’étude et la connaissance de Jésus Christ se réalisent non seulement dans les Évangiles (dans les Écritures), mais aussi dans la vie sacramentelle.  

Comme Antoine Chevrier, nous sommes appelés nous aussi à étudier, connaître, chercher Jésus Christ dans l’Eucharistie, dans la célébration ainsi que dans l’adoration devant le tabernacle. « Le tabernacle est le lieu où le disciple du Christ est convié à la foi, à l’adoration, au cœur à cœur aimant » (Yves Musset : le Christ du Père Chevrier p.79). Cette contemplation et cet espace d’étude s’accordent bien avec la spiritualité du Père Chevrier qui a sa source dans le mystère de l’Incarnation : l’Eucharistie est comme « une extension de l’Incarnation divine. Dans l’Incarnation, il se change en nous. Dans l’Eucharistie, il nous change en lui » (Ms 7,1). 

Cette étude du Père Chevrier sur l’Eucharistie souligne l’union à Jésus Christ et l’amour, ce qui nous renvoie encore à l’un des traits les plus spécifiques de la spiritualité du Père Chevrier : l’imitation du Christ, notre modèle. « Nous devenons les frères de Jésus Christ, puisque nous sommes unis à lui par les mêmes pensées et que son sang coule en nous par la sainte Eucharistie » (Ms 11,2). « Nous sommes sa vie extérieure et lui, notre vie intérieure » (Ms 9,4j). Dans la foi nous mangeons et nous buvons la Parole faite chair à la table de la Parole et dans la fraction du pain. Dans notre vie de chaque jour, il nous faut être conscients de la relation en boucle qui s’établit entre notre Etude d’Évangile et la célébration de l’Eucharistie.  

Le « Règlement de Vie » de 1857 était centré surtout sur l’imitation de Jésus Christ que le Père Chevrier considérait comme le modèle à suivre. Il est redevable de la théologie et de la spiritualité de son époque. Cependant nous devons savoir lire plus loin que certaines formulations ou expressions, et rechercher ce qu’au-delà le Père Chevrier a en vue. Lorsqu’il parle d’imiter et de prendre Jésus comme modèle, il ne s’agit pas pour lui de copier du dehors un modèle. C’est pourquoi dans le même « Règlement », il s’exprime sous la forme d’une prière : « Faites que je sois tellement semblable, conforme à vous, que je ne fasse qu’un avec vous, que je sois véritablement et dignement votre représentant sur terre… » La véritable signification du mot imitation, c’est la communion, l’union au Christ. Jésus Christ est le modèle parce qu’il est dedans, qu’il habite en nous et que c’est lui-même qui nous modèle à son image. La connaissance du Christ a pour effet d’unir et d’identifier au Christ lui-même, de transformer en Christ. Derrière l’imitation de Jésus Christ, il y a une dimension sacramentelle. La présence vivante et agissante du Christ, en même temps que ses frères, emmène tout vers le Père en chacun de nous et à travers nous.  

L’Étude de Jésus Christ dans l’Eucharistie est unie à l’Etude de Jésus Christ dans sa vie mortelle, dans le témoignage que nous offrent de lui les Écritures sous l’action de l’Esprit Saint. L’Étude de Jésus Christ dans les Écritures.  

L’Étude de Notre Seigneur Jésus Christ se réalise surtout dans les Écritures, dans les Évangiles, puisque c’est là que nous rencontrons Jésus Christ. Comme nous l’avons déjà répété, cette science de grande valeur, cette étude est « spirituelle » : « L’esprit de Jésus Christ se trouve dans la parole de Notre Seigneur surtout. L’étude du saint Évangile, les paroles et les actions de Jésus Christ, voilà toute notre étude, voilà ce que nous devons chercher à connaître et à comprendre… » (Ms 10,24a). Voilà pourquoi cette étude doit être préférée aux autres études qui, tout en étant nécessaires aussi, sont de moindre importance. « Aucune étude, aucune science ne doivent être préférées à celle-là. C’est la plus nécessaire, la plus utile, la plus importante, surtout à celui qui veut être prêtre, son disciple, parce que cette connaissance seule peut faire les prêtres » (VD 113).  

Cette étude faite sous l’action de l’Esprit Saint, c’est elle qui produit la véritable connaissance de Jésus Christ et qui modèle un être conforme à Jésus Christ : « J’ai demandé à Notre Seigneur, et je le demande encore tous les jours, que vous soyez remplis de son esprit, que l’étude de Jésus Christ soit pour vous une étude chère à vos cœurs, que tout votre désir soit de conformer votre vie à celle du Maître » (Lettre 80).  

Il y a dans le « Véritable Disciple » une très belle formule pour exprimer ce qu’est, et ce que doit être pour nous l’Étude d’Évangile : « Remplis du Saint Esprit… étudier l’Évangile pour conformer notre vie à celle de Jésus Christ » (cf. VD 225). Nous étudions l’Evangile, non pas afin de savoir ce qu’a fait Jésus Christ, non pas afin de connaître sa doctrine et par conséquent de voir ce que nous, nous devons faire. Si nous n’entrons dans l’Évangile que pour y découvrir ce que Jésus a fait et pour faire de même à sa suite, notre relation au Christ resterait marquée par le volontarisme et lui, il ne serait pour nous qu’un simple personnage du passé. L’étude à laquelle le Père Chevrier nous invite se situe à un niveau beaucoup plus profond. Lui, il veut que Jésus Christ passe en nous, qu’il nous habite, que par la foi il demeure en nos cœurs, que l’Esprit forme le Christ total en nous. Nous ne pouvons-nous contenter seulement de reproduire quelques attitudes et actions de Jésus.  

Cette étude est un véritable travail de recherche, d’enquête systématique que nous avons à faire avec persévérance chaque jour puisqu’il s’agit de notre premier travail, celui qui nous permet de développer ce que nous sommes, notre identité. Pour cela, cette étude exige qu’on se dessaisisse de son propre esprit, de sa propre volonté pour accueillir et se rendre disponible à l’Esprit de Dieu et à ce qu’il voudra nous révéler. La recherche et l’investigation dans les Ecritures demandent qu’on sorte de soi pour entrer dans ce qui s’avère inconnu pour la pensée humaine ; ça demande aussi qu’on se laisse conduire, même sans comprendre, comme l’a fait Marie (Lc 1,29-34). Cette étude d’Évangile, nous la faisons dans l’attitude du pauvre et la condition de l’indigent qui cherche à recevoir la vie, la véritable sagesse, et qui se rend disponible pour accueillir le don de Dieu. En effet, dans l’Étude d’Évangile, nous ne cherchons pas à tout comprendre, mais nous voulons nous donner à la personne du Verbe. Voilà bien pourquoi cette étude ne saurait être quelque chose d’occasionnel ou de ponctuel que nous ferions quand nous aurions le temps. Au contraire, c’est une part très importante de notre ministère, quelque chose d’aussi quotidien que de s’alimenter. Cette étude donne la mesure de notre attachement, de notre amour à Jésus Christ ; mais aussi la mesure de notre dévouement à la mission, qui est la mission du Christ, pas la nôtre…  

L’Étude d’Évangile demande la même persévérance et la même assiduité que la prière ; d’ailleurs les deux sont en étroite relation. « Il faut d’abord lire et relire le Saint Évangile, s’en pénétrer, l’étudier, le savoir par cœur, étudier chaque parole, chaque action, pour en saisir le sens et le faire passer dans ses pensées et dans ses actions. C’est dans l’oraison de chaque jour qu’il faut faire cette étude et qu’il faut faire passer Jésus Christ dans sa vie » (VD 227). La prière et l’Étude d’Évangile se fécondent mutuellement. C’est pour cela qu’à la nécessité de l’étude pour connaître Jésus Christ, le Père Chevrier joint la nécessité de la prière. Lui-même prie et entre en relation avec le Maître qu’il désire connaître. La prière « O Verbe, O Christ ! » vient à la fin de l’Étude d’Évangile sur les titres de Jésus Christ (VD 108). Ce fut l’expérience d’Antoine Chevrier, mais aussi celle de beaucoup de pradosiens. C’est sans doute pour tous un appel qui nous indique la manière de faire l’Étude d’Évangile. « Il ne faut pas faire de l’oraison une affaire de paroles en l’air ou de mysticisme. Il faut que la vie et les paroles de Jésus Christ en soient le fondement essentiel… Même dans l’oraison, la connaissance de Notre Seigneur doit passer avant tout… La base de l’oraison, c’est l’étude de Notre Seigneur Jésus Christ » (Ms 9,2d).  

La connaissance de Jésus Christ dont parle Antoine Chevrier est celle de la foi. Dans les Écritures, Dieu en personne vient à notre rencontre pour communiquer et entamer avec nous un dialogue d’amour. L’Étude d’Évangile est donc avant tout une expérience de foi : elle part de la foi, elle se développe dans la foi et elle augmente la foi. Il nous faut veiller à cette dimension qui nous met dans une attitude d’écoute, de confiance dans la parole qui s’adresse à nous. Le Père Chevrier lui-même nous sert de guide dans ce type d’Etude d’Evangile qui vise à alimenter et à augmenter la foi. Il termine son Étude d’Évangile sur la divinité de Jésus Christ avec cette affirmation qui devrait toujours être présente à l’horizon de notre propre Étude d’Évangile : « Ne pas oublier le grand acte de foi en Jésus Christ, Verbe et fils de Dieu » (VD 82).  

La connaissance, l’étude de Notre Seigneur Jésus Christ doivent porter sur la totalité des Écritures car, nous l’avons déjà évoqué, toutes les Ecritures parlent de Jésus Christ et toutes sont habitées par la Parole du Père. « La totalité », cela ne signifie pas qu’il s’agit d’un savoir encyclopédique ni d’une accumulation d’informations sur les textes ou sur les livres de la Bible. « La totalité », cela vise le noyau fondamental à partir duquel on comprend et on explique le mystère du Christ, le Verbe fait chair. Le centre des Écritures c’est le Verbe, celui qui vient dans la chair sauver les hommes. A partir de cette lumière, les gens, avec leur intelligence, avec leur liberté, peuvent comprendre toutes les questions et les mystères qui touchent leur existence. 

Les Écritures, c’est ce que le Seigneur nous a offert et mis dans les mains pour que nous puissions le connaître et vivre notre existence sur le mode de l’Alliance. Dans cette communication et cette révélation, le Verbe fait chair devient la parole la plus explicite dont nous disposons, parole de révélation qui se communique à travers les Écritures habitées par l’Esprit Saint. Par conséquent, si nous voulons connaître Jésus Christ, nous devons connaître et étudier les Écritures. C’est ce que nous rappelle Saint Jérôme : « Ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ ». Mais restons très conscients qu’il s’agit d’une étude éclairée et guidée par l’Esprit ; c’est ce qui permet qu’à partir du livre, nous soyons capables d’entrer en relation avec le Verbe fait chair, le Fils de Dieu, la Parole vivante du Père. « Verbe est le nom du Fils de Dieu. Ce mot signifie Parole. Dieu a envoyé son Verbe, c’est-à-dire sa Parole, qui s’est revêtue de notre humanité pour nous instruire et nous faire connaître la loi et la volonté du Père…Il est pour nous comme une lettre vivante dans laquelle nous devons lire les volontés du Très-Haut… Avec quelle attention ne devons-nous pas lire cette lettre envoyée du ciel ! » (Ms 5,27).  

CONCLUSION  

L’Étude d’Évangile s’inscrit dans la tradition de l’Église qui lit les Écritures sous la lumière de l’Esprit ; celui-ci nous les présente aujourd’hui comme parole vivante et actuelle, il nous présente Jésus Christ comme notre contemporain.  

L’action de l’Esprit dans l’Incarnation du Verbe, son action dans les Écritures en tant que parole vivante de Dieu, se prolonge encore dans l’Étude d’Évangile par laquelle nous, nous connaissons Jésus Christ et nous entrons en communion avec lui.  

C’est toujours l’Esprit Saint qui anime et guide l’Étude de Notre Seigneur Jésus Christ. Cette Étude, il nous faut la faire à la fois dans l’Eucharistie et dans les Écritures. Chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, nous invoquons l’Esprit Saint pour qu’il transforme le pain et le vin en Corps et Sang de Jésus Christ.  

De la même manière dans notre Etude d’Evangile, nous avons à faire une épiclèse, une invocation à l’Esprit Saint, afin que la parole des Écritures devienne révélation et présence de la Parole vivante, de Jésus Christ ressuscité, le Fils de Dieu, véritable nourriture tout comme le pain eucharistique.  

L’Étude d’Évangile, nous devons toujours la faire dans la prière et dans la foi. Elle a pour finalité de nous mener à la connaissance de Jésus Christ. Autrement dit, nous faisons Étude d’Évangile pour établir un véritable dialogue avec le Seigneur, une relation personnelle avec Jésus, et ce sera en quelque sorte l’élan qui dynamisera notre vie, notre mission, l’incarnation et l’engagement que nous pourrons vivre au milieu du monde. Pour cela une connaissance des Écritures qui en resterait à l’extérieur est insuffisante. C’est ce que nous montre le quatrième Evangile dans un dialogue de Jésus avec les juifs qui scrutaient et croyaient connaître les Écritures. La révélation de l’Esprit et la foi sont nécessaires. « La parole du Père ne demeure pas en vous, puisque vous ne croyez pas à celui qu’il a envoyé. Vous scrutez les Écritures parce que vous pensez acquérir par elles la vie éternelle. : ce sont elles qui rendent témoignage à mon sujet. Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie éternelle » (Jn 5,38-40 ; cf. 5,46-47). 

Au centre de l’Étude d’Évangile, il y a la personne de Jésus Christ. J’entre dans cette Étude avec l’intention de me conformer à lui, pour le suivre en toute confiance et sans condition jusqu’à ce que je parvienne à ne faire plus qu’un avec lui. Par conséquent l’objectif de mon Étude d’Évangile, ce n’est pas ce que je dois faire, non plus d’aller à la recherche de ce dont j’ai besoin ; mon objectif, c’est de me laisser recréer par la Parole vivante et efficace de Dieu, c’est de marcher guidé par l’Esprit qui, lui, a le pouvoir de procurer la véritable vie et de nourrir notre existence ainsi que notre témoignage. En communiant et en centrant ainsi notre vie sur la personne de Jésus Christ, nous serons amenés à tout regarder à partir de lui. Pour le croyant, pour l’apôtre, plus que l’évangile, plus que la justice, plus que la liberté, plus que l’amour… ce qui existe vraiment, c’est Jésus Christ qui est, lui, notre justice, notre liberté, notre amour. Centrés sur lui, nous vivrons aussi notre mission et notre ministère à partir de la radicalité de l’Évangile.  

Mettre Jésus Christ au centre de notre vie, cela suppose qu’on se donne et qu’on se dépouille totalement dans une pauvreté radicale, à l’image de la pauvreté de l’Envoyé du Père qui ne fait rien de lui-même, qui ne dit rien de lui-même et qui accomplit à chaque instant la volonté de celui qui l’envoie. Voilà en quoi consiste « connaître Jésus Christ » : c’est laisser le Fils pénétrer et envahir ce que nous sommes, en parvenant à n’être plus qu’un avec lui. Comme c’est arrivé à Paul, nous pourrons faire l’expérience qu’il est notre vie, que lui-même vit en nous, qu’à travers nous circule la vie du Fils de Dieu, la vie éternelle (Ga 2,19-20 ; Jn 17,3).  

Xosé Xulio RODRIGUEZ